Pas de panique, la police est là

Pas de panique, la police est là

dans

Parce que L’envol est aussi un thriller, il y a donc un gentil policier pour sauver le monde.

Scène 13 – Faites connaissance avec Fabrice Biancini, l’étoffe des héros…

 

13

J -14, Versailles — France

Fabrice Biancini pénétra dans les locaux de la PJ de Versailles en maudissant le mal de tête qui lui vrillait les tempes. Il grimpa les marches deux par deux sur un demi-palier, puis s’arrêta pour calmer le tambourin qui jouait entre ses oreilles et reprendre son souffle. Il s’agrippa à la rampe, et finit de monter l’escalier qui menait à l’étage de la division criminelle sur un rythme plus posé.

Sous les vêtements de style urbain fripés, son physique pouvait encore impressionner si l’on ne s’attardait pas trop sur les détails. À trente-neuf ans, ses cheveux châtains tournaient déjà au gris, mais ils restaient drus en une brosse mal entretenue. La carrure demeurait, mais ses abdos autrefois ciselés formaient désormais un bouclier lisse et rebondi. L’inspecteur – ou plutôt « l’officier de police judiciaire » selon la dernière circulaire du ministère qui agaçait Biancini au plus haut point – n’avait pas arpenté une salle de gym depuis plus de dix ans, et sa silhouette de boxeur poids moyen en pâtissait.

Il traversa le plateau avec un geste de salut à la ronde vers ses collègues, sans un mot, et alla s’affaler dans son vieux fauteuil en cuir fatigué. Le vérin pneumatique grinça sa désapprobation d’être ainsi malmené.

Biancini se passa la main dans les cheveux. Il bascula le dossier en arrière, ramena ses pieds sur le coin de son bureau et ouvrit un de ses tiroirs. Il en extirpa un flacon et avala deux cachets d’aspirines qu’il croqua avant de réajuster ses lunettes de soleil, incongrues en cette saison.

Sa seule activité sportive depuis son transfert à la PJ de Versailles ne demandait qu’un effort tout relatif : lever le coude… et il était un ardent défenseur de cette discipline.

— Biancini ! Dans mon bureau !

L’inspecteur plissa le front sous l’agression sonore de l’appel. Il redressa son siège, pivota en direction de la voix et tira ses lunettes vers le bas de quelques centimètres pour en confirmer l’origine. Il réajusta ses Ray-Ban en identifiant la silhouette fluette qui se dessinait dans l’encadrement d’une porte, souffla, et rejoignit la commissaire divisionnaire d’un pas nonchalant.

— Tu aurais pu prendre ta journée Fabrice, lança le petit bout de femme une fois la porte close.

— Pas besoin, ça va.

— Je ne dis pas ça pour toi, trancha-t-elle. Mais j’ai une brigade à mener, tu peux comprendre ça ? Regarde ton état ! Je passe pour qui moi, là ?

Il laissa échapper un léger mouvement de tête coupable.

— Je ne tenais pas à rester chez moi…

— Et pourquoi ? s’enquit-elle avec une ferveur contenue pour que leurs propos ne dépassent pas l’enceinte de son bureau. Toi et une bouteille de whisky en tête à tête, ce n’est pas ta définition du bonheur de nos jours ?

Il grinça des dents. Elle se calma.

— Excuse-moi… Je sais qu’aujourd’hui c’est l’anniversaire de leur…

Il l’interrompit et balaya d’un geste la nécessité pour elle de s’excuser.

— Tu veux savoir pourquoi je suis venu ?

Il sortit son revolver de service de l’holster attaché sous son aisselle gauche.

— Parce que dehors, ça – il agita le canon de l’arme en l’air – je peux le pointer vers quelqu’un…

Le canon se tourna lentement vers sa propre poitrine.

— … Chez moi… c’est une autre histoire… j’ai besoin de bosser, tu comprends ?

Il rangea son arme.

— Fabrice… tu t’entends parler ? Tu ne peux pas continuer comme ça. Je devrais te suspendre, et ordonner une évaluation.

Il haussa les épaules.

— On n’est pas déjà passé par là ?

Elle acquiesça en silence avec une moue dubitative, secoua la tête, et s’empara d’une chemise cartonnée brune qu’elle tendit à l’inspecteur.

— Tiens. Une prostituée tabassée du côté d’Ablis. Elle est morte ce matin à l’hosto.

Biancini se saisit du dossier et quitta le bureau sans ajouter un mot.

Il feuilleta les premières pages en se dirigeant vers le grand tableau blanc qui indiquait chaque enquête en cours. Il inscrivit « Prostituée d’Ablis » sur une ligne, consulta rapidement le reste de la liste et récupéra l’effaceur. Il enleva le nom du binôme « Berteau/Yuang » assigné à la ligne « Suicide du RER D » et écrivit son nom à la place.

— Hé ! C’est notre enquête, lâcha un jeune inspecteur en se redressant par-dessus une cloison basse.

Son collègue, un Asiatique débonnaire, le tira par la ceinture pour lui intimer de se rasseoir.

— Laisse tomber, souffla-t-il entre ses dents.

L’autre se tourna vers lui avec un regard surpris.

— Quoi ? C’est notre enquête…

— Plus maintenant, lâcha Biancini en faisant claquer la chemise brune sur leur bureau. Le commissaire vous demande de vous occuper de celle-ci.

Il repartait déjà.

— Non, mais de quel droit…

Son coéquipier l’arrêta net.

— Laisse tomber, je te dis.

Il avait chuchoté, et le jeune continua sur le même ton.

— Je ne vois pas pourquoi… Il est là un jour sur deux, il n’a jamais clôturé une affaire depuis que je suis arrivé… C’est un looser, je ne comprends pas pourquoi il aurait un traitement de faveur. Il couche avec le commissaire ou quoi ?

Son collègue afficha une grimace alarmée en s’apercevant que Biancini s’était arrêté. Il crut bon d’intervenir.

— Biancini ? Laisse, le petit jeune vient de débarquer, il ne savait pas…

Biancini toisa le nouveau à travers ses verres fumés et fit claquer sa langue.

— Berteau, c’est ça ?

L’autre déglutit en approuvant de la tête.

Biancini pointa le dossier du doigt.

— Appelle les mœurs, demande-leur la rotation de l’anneau de prostitution de la N10. Boucle le mac, c’est lui le coupable.

Berteau se tortilla sur sa chaise. Il hésitait, mais ne put s’empêcher de rétorquer, bravache :

— C’est un peu facile non ? « Le mac qui tue la prostituée ».

Biancini sourit.

— Pas d’ecchymose au visage, elle est morte d’une hémorragie interne… Un client, un déluré, ou même un simple voleur aurait d’office frappé au visage. Pas son mac, c’est mauvais pour le business une denrée avariée. Maintenant, si tu veux jouer au policier, va à Ablis, interroge le voisinage, planque dans les sous-bois… Et n’oublie pas ta panoplie de boyscout pour camper.

Il se tourna et amorça quelques pas avant de terminer :

— Hum… et non, je ne couche pas avec le commissaire Favre, se serait… mal.

Il quitta le bureau sans se retourner.

— Mal ? interrogea le bleu sans comprendre.

Son collègue le regarda d’un air désolé. Il ouvrit un tiroir qui regorgeait de friandises et en extirpa deux.

— Tiens, prend un Kit-Kat ça te remontera le moral.

Il déchira son paquet et croqua goulûment avant d’expliquer, la bouche à moitié pleine :

— C’est sa sœur. « Favre » c’est son nom de mariage…

L’autre se renfrogna en déballant machinalement sa barre chocolatée.

— Ça explique… looser et protégé par la famille…

— Nan… Elle est réglo. Tu verras, c’est une chic fille. Et Biancini… tu ne verras pas son nom sur les murs ni dans les procès-verbaux. Je pense qu’il n’a jamais clôturé une affaire lui-même depuis son arrivée.

— C’est bien ce que je disais !

— Ceci dit le coupa son collègue. Plus de la moitié des enquêtes ici, c’est lui qui les plie d’une manière ou d’une autre… c’est juste qu’il n’en prend jamais le crédit. Son truc, c’est les affaires perdues d’avance où il n’y aura jamais d’arrestation. Tu vois son casier là-bas ? – Il pointa une armoire basse grise à portes coulissantes dont le dessus croulait sous des monceaux de dossiers. – On l’appelle « Le coin des causes perdues ». Je serais toi… j’appellerai la brigade des mœurs comme il te l’a suggéré…


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